Les Chroniques du Tome 03_ Extrait
- Le 26/06/2018
Extrait n°01 Série Les Kittymeans_Trilogie des Origines Tome 03 "Jour Solaire" by MK Denslow
Honnêtement, je ne sais combien de temps Jonah et moi restâmes debout dans ce couloir, seuls et dans un silence étrange. La tête baissée, je lui barrais toujours la route le poing levé et lui se contentait de me zieuter du coin de l’œil en attendant que je me décide à parler.
Sa patience infinie, si amusante à taquiner… elle allait me manquer.
— Dis-moi...c’est un adieu... pas vrai ?
J’attendis sa réponse. Attendis...Attendis... Paniquée, je cherchais en vain l’ultime courage, celui qui m’aurait aidée à relever la tête pour le regarder dans les yeux et lui poser LA vraie question. Celui qui m’aurait donné la force de lire la réponse, aussi douloureuse soit-elle, dans son regard honnête.
Mais j’avais beau ratisser tous mes fonds de placards psychiques, je fus incapable de le trouver et de faire autre chose que d’insister, au bord de la crise de nerfs :
— S’te plait, réponds ! Réponds-moi franchem…
La fin de ma phrase se bloqua dans ma gorge dans un glapissement étonnamment féminin. Interceptant mon geste d’impatience, les doigts de Jonah s’étaient refermés sur les miens et il les garda dans les siens alors qu’il faisait demi-tour. La seconde qui suivit, l’esprit en compote et trop interdite pour protester, je le laissais m’entrainer à sa suite (ce qui m’obligea, au vu de ses pas énergiques, à presque trottiner derrière lui).
Quels couloirs il me fit emprunter, où il m’emmenait... Tout ça n’avait que peu d’importance. En cet instant, je n’avais conscience que de mes doigts au creux de sa grande main chaude, du contact apaisant de nos deux peaux à cet endroit stratégique et mon cœur se serra une première fois lorsque je réalisais qu’il s’agissait certainement de notre dernier attouchement, toutes natures confondues...
...et une seconde fois lorsque je réalisais qu’après m’avoir poussée à l’intérieur d’une pièce quelconque et adossée à sa porte close, il venait de ramener son visage près du mien, m’obligeant à croiser son regard sans aucun faux-semblant.
—Tu veux une réponse franche ? gronda-t-il. Pose une question franche.
— Ma question était franche ! me récriais-je en faisant mine d’être vexée.
Il plissa les yeux.
— Vraiment ? Alors, tu voudrais juste que je devine si dans le futur nous serions amenés à nous rencontrer par hasard, c’est ça ? La probabilité que nos chemins se croisent de nouveaux... C’est vraiment tout ce qui t’intéresse ? insista-t-il comme je lui servais un silence obstiné.
Ce fut la goutte de trop. Je ne pus qu'exploser.
— Bien sûr que non ! m’agaçais-je en me défoulant de quelques tapes désespérées sur son torse. Je sais très bien que tu ne lis pas le futur, sombre idiot ! Ce qui m’intéresse, c’est ce qui va se passer après…quand je ressortirais de cette chambre… que je ne serais plus la même et que je n’aurais plus besoin de toi… Entre nous… Oui, dis-moi ce qui se passera entre nous, quand tu te retrouveras sans aucune raison valable de me protéger... et de rester à mes côtés ?
Mes tapes s’étaient de plus en plus raréfiées au point qu’en soufflant ces derniers mots, mes doigts se crispèrent sur ses vêtements. J’étais pathétique. Pourquoi avais-je à ce point l’impression d’être démunie ? Pourquoi me sentais-je aussi vulnérable ?
C’était une sensation désagréable à souhait.
—Oh, alors maintenant, tu n’as plus besoin de moi…
Je me figeais. Oh non… Moi qui croyais avoir déjà touché le fond ! Comment avais-je pu sortir une chose pareille ?
Dieu me vienne en aide, le puit de la déchéance semblait sans limite.
Décidemment, je ne pouvais vivre pire. Pas seulement parce que ma langue avait fourché mais parce qu’obligée d’endurer la pire des situations possibles, au pire moment, je ne pouvais même plus compter sur l’arme secrète qui m’avait toujours sauvée : mon cerveau. Comme choquée, je ne réfléchissais plus. Je n’y arrivais pas. Je ne me rappelais même plus comment faire.
J’entrouvris les lèvres pour tenter de me dédire et d’expliquer ce que je ressentais vraiment, mais je me retrouvais incapable de sortir un seul mot.
Je baissais les yeux sur mes doigts. Ils étaient crispés sur ses vêtements comme s’ils refusaient de le lâcher. C’était étrange... Comme si toute mon honnêteté avait déserté mon corps, excepté mes extrémités. Mes pensées avaient beau se trouver dans une confusion totale, mes doigts eux n’hésitaient pas un seul instant et s’accrochaient à lui en refusant de le laisser partir.
Mais d’un autre côté, qu’aurais-je pu faire d’autre ? Qu’aurais-je pu dire d’autre ? Que j’avais désespérément besoin de lui ? Que je détestais quand il était loin de moi parce qu’il me manquait atrocement et qu’immanquablement, les choses avaient tendance à partir en cacahuètes ? Que quoi qu’il arrive, nous étions un duo, des partenaires indéfectibles, et que je refusais de penser que nous puissions laisser la vie nous séparer aussi facilement qui plus est sans nous battre ?
Hors de question de le dire à voix haute. J’étais déjà assez désespérée comme ça, alors dans quel état me retrouverais-je quand je lui aurais avoué à quel point j’avais besoin de lui mais qu’il me dira être obligé de me quitter quand même ?
Car j’avais tout de même conscience d’une chose : ne m’en déplaise, quels que soient mes caprices, notre séparation était à présent inévitable. Même en sachant cela, même en devinant qu’il s’agissait certainement de ma dernière chance, je n’étais pas assez forte pour lui avouer la vérité.
Et je savais d’avance que j’allais me haïr le restant de mes jours pour cette faiblesse.
Comme s’il percevait toutes mes entraves, Jonah eut un léger soupir et se redressa, matérialisant sans le vouloir l’écart qui se creusait au fil des secondes toujours plus entre nous.
Mes doigts lâchèrent leurs prises. Mes bras retombèrent sur mes flancs.
— Kacey, je vais être franc avec toi. Je suis un Veilleur. Tout ce qui compte pour moi, c’est de veiller sur la vie de mon Elue. Tout le reste… n’a aucune importance.
Son Elue était Theyma, la mère de l’enfant aux yeux dorés. « Tout le reste », c’était moi. Accusant violemment le coup, je hochais vaguement la tête en détournant les yeux.
—Je vois, soufflais-je…
Glissant un doigt sous mon menton, il me força à croiser son regard.
—Tu en es sûre ? murmura-t-il. Est-ce que tu ne t’es jamais demandé pourquoi est-ce que j’avais à ce point insisté pour t’apprendre à survivre toute seule, alors que je m’occupais déjà de ta sécurité ?
Bien sûr, que je me l’étais demandé. À cause de ma nature paresseuse, je ne manquais jamais de mesurer l’utilité réelle de mes actions afin d’éviter toutes dépenses d’énergie inutiles.
Mais que lui en parle maintenant... oui, ça en disait long.
Je sondais son regard. En fait, il l’avait toujours su… Peut-être même dès le début… qu’en empruntant cette route, nous nous retrouverions inévitablement à la croisée des chemins.
Et qu’un jour, nous nous séparerions.
Sa loyauté était l’une des qualités que j’appréciais le plus chez lui. La sienne allait entièrement à son Elue et je l’aimais encore plus pour cela. Même si je n’étais pas elle et juste « à côté ». Je comprenais parfaitement ce qu’il m’expliquait. En fait, ce qu’il essayait de me dire, ce n’était pas que je n’avais aucune importance. Au contraire, son regard m’avouait très clairement qu’il tenait à moi.
Mais à côté de ses responsabilités, de la vie de son Elue, ces sentiments n’étaient pas suffisants.
Nos regards verrouillés l’un à l’autre, je sentis le dos de ses doigts glisser avec une lenteur torturante sur ma peau. Dessinant d’une caresse le dessin de ma mâchoire, ils descendirent le long de mon cou, puis continuèrent leur chemin en descendant dans mon décolleté où ils trouvèrent ce qu’ils cherchaient.
La trace de la faucheuse. Les cicatrices des balles que j’avais reçues trois ans plus tôt.
Fronçant les sourcils, je baissais les yeux sur ses doigts avant de remonter pour chercher son regard. J’en fus abasourdie. Je ne l’avais quitté que quelques secondes, même pas, et pourtant, cela avait suffi pour que ses iris virent totalement de couleur.
L’or était à la fois solide… et en fusion. Des iris aussi profonds et durs que le fut le son de sa voix lorsqu’il murmura avec une détermination absolue :
— Ça, ça ne doit jamais se reproduire. Tu m’entends ? Jamais. Alors, fais ce que tu as à faire sans te poser de questions. Et de mon côté, je ferais aussi ce que je dois faire. Et si pour ta sécurité, tu ne dois plus avoir de contact avec un membre de l’Organisation…moi compris … alors il n’y a rien à regretter.
Hochant la tête, je fermais les yeux. Pour l’empêcher de remarquer leur humidité ou éviter que les larmes ne coulent, je ne le saurais jamais.
Suivant le dessin de mon décolleté, je sentis ses doigts rejoindre mon épaule avant de se promener le long de mon bras. L’ensemble de mes terminaisons nerveuses se réveillèrent bien avant qu’ils ne viennent titiller l’intérieur de mon coude et qu’ils glissent plus bas, dans le creux chatouilleux de mon poignet. Ses doigts caressèrent ma paume et les miens se plièrent brièvement, comme dans un geste avorté. Comme si leur réflexe premier avait été de le retenir avant qu'ils ne reprennent leurs esprits et n'abandonnent d'eux-mêmes cette idée un peu folle.
Au même moment, quelque part dans le couloir, la voix d’Anatoli appela Jonah. Il le cherchait et même moi, je savais que son chef de la sécurité ne l’aurait jamais fait sans une bonne raison.
Désespérée et amusée malgré moi, j’eus un hoquet ironique. Décidemment, aujourd’hui, il avait le chic pour arriver au mauvais moment, celui-là ! A moins que ce ne soit l’univers qui s’acharne à nous interrompre en prenant tout ce qu’il trouvait sous sa main.
Tellement prévisible ce crétin d’univers...
Devinant sans peine ce qui allait suivre, je refusais d’ouvrir les yeux.
— Je vais devoir y aller, l’entendis-je murmurer, son souffle chaud près de mon visage.
— Je sais.
Ses doigts chatouillèrent le creux de ma paume, puis ils effleurèrent les miens, se mêlant brièvement à eux, aériens et furtifs.
Seigneur, que c’était douloureux... Cette caresse… j’étais incapable de la retenir ou de la faire durer plus longtemps. Elle était insaisissable.
Cet homme l’était tout autant.
Et avant que je ne le réalise vraiment, sa peau quitta la mienne, me donnant l’impression que Jonah lui-même venait de me glisser entre les doigts.
Toute retournée par cet ultime contact, comprenant à la chaleur de son corps qu’il s’était éloigné de moi, je fis un pas de côté pour lui donner accès à la porte. Si je voulais conserver ma dignité et éviter de m’effondrer devant lui, je savais que je ne devais pas le voir partir. Les paupières closes, croisant les bras contre ma poitrine comme pour me protéger de mon propre chagrin, je me détournais à moitié, en attendant de deviner son départ.
Et pourtant, en dépit de ces précautions, je ne pus retenir un sanglot étranglé lorsque, comprenant qu’il avait fait demi-tour, je sentis la caresse qu’il apposa sur ma joue et le baiser furtif qu’il déposa dans mes cheveux.
— Surtout, prends bien soin de toi.
Et sur cette ultime recommandation, il ouvrit la porte derrière moi et se glissa silencieusement dehors.
— Je suis là, l’entendis-je répondre à Anatoli.
Sa voix était calme, anodine. Elle balaya mes derniers doutes au moment même où, me retrouvant seule, je sentis une première larme couler sur ma joue. Jonah était déjà en train de passer à autre chose. Il faisait déjà ce qu’il avait à faire et il ne me restait plus qu’à faire de même.
Oui, j’avais eu ma réponse.
Il s’agissait bel et bien d’un adieu.